'il se voit comme l'héritier d'une famille qui « a toujours eu cette idée, cette envie de produire des vins effervescents », Jean-Louis Ballarin se projette au-delà de ses racines catalanes (et du Bordeaux mousseux de son grand père) pour imaginer, et croire en, l'avenir de la jeune appellation Crémant de Bordeaux actuel (AOC reconnue en avril 1990). Après cinq ans d'investissements conséquents, la maison Ballarin peut se targuer d'avoir amené son appareil de production à un niveau de technicité hors du commun girondin (chaînes automatisées de tirage, dégorgement, palettisation...). « Notre prochain axe de développement et d'investissement, c'est de montrer nos caves [4,5 kilomètres de carrières du XVIème siècle], qui sont le cœur de notre métier et l'essence de notre produit. Sans les caves, il est difficile de passer pour autres choses que des industriels ! » ne peut s'empêcher de lancer Jean-Louis Ballarin, remarque visant à fleuret moucheté le groupe coopératif Jaillance, qui s'est dernièrement rapproché du Clos des Cordeliers, et a transféré les installations troglodytes de Brouette vers un site moderne à Peujard (cliquer ici pour en savoir plus). Implantée au cœur de l'Entre-Deux-Mers, la maison Ballarin a été particulièrement impactée par les petites vendanges de 2013 (production diminuée de moitié). Mais Jean-Louis Ballarin ne se défait pas de son optimisme face à une saison actuellement propice. « Si ça continue à être aussi prometteur, on pourrait bien le millésimer ! », ajoutant plus sérieux qu'en « 2014, on a l'obligation de faire une récolte abondante et de qualité ». Pour prêcher ces bonnes paroles dans le vignoble, il organisait ce premier juillet des portes ouvertes à Haux, où l'affluence témoignait de l'intérêt de l'ensemble des opérateurs.
La maison Ballarin est le premier producteur de crémants de Bordeaux en volume : « avec plus de la moitié de la production de l'AOC traitée ». La société possède en effet 80 hectares de vignes pour une production annuelle de 5 000 hectolitres de vins, complétée par un approvisionnement d'appoint pour arriver à une commercialisation dépassant le million de cols (30 % de ce volume provient de contrats avec des vignerons et caves coopératives). Plus de la moitié de ce volume est commercialisée en grande distribution, pour 30 % à l'export et 20 % en réseau traditionnel Le chiffre d'affaires de la maison s'élevait à 4 millions d'euros l'an dernier (+7 % par rapport à 2012), dont 30 % sont issus de la prestation de services aux viticulteurs (conditionnement à façon de crémants, vins effervescents et méthode traditionnelle).
Les crémants sont-ils une alternative aux champagnes, dont la consommation est particulièrement sensible aux crises ?Jean-Louis Ballarin : On ne cherche pas à copier, supplanter ou remplacer les champagnes. Chaque région exprime par ses terroirs sa typicité, et c'est au consommateur de choisir celui qui lui convient. Par leurs prix les champagnes sont plus sensibles aux crises, mais ils restent les leaders et les meilleurs de la gamme. Les crémants de Bordeaux présentent un bon rapport qualité-prix, particulièrement intéressant en cette période économique incertaine. Grâce aux niveaux qualitatifs intéressants que l'on a pu atteindre, nous avons gagné des consommateurs qui nous suivent. Et nous sommes en perpétuelle croissance.
Est-il plus facile pour les crémants de s'implanter en étranger qu'en France ?Je dirais plutôt que c'est tout aussi difficile ! Il faut toujours démontrer que l'on a un savoir faire, le promouvoir sans cesse et le faire déguster pour le vendre. Par contre on constate que les exportateurs et distributeurs du monde entier n'ont pas de crémants de Bordeaux. Ils sont donc intéressés dès qu'on leur en présente, jusqu'à aujourd'hui la distribution est restée confidentielle.
L'Entre-Deux-Mers reste-t-il le meilleur terroir de Bordeaux pour les crémants, même après la petite récolte 2013 ?L'Entre-Deux-Mers n'est pas forcément le terroir idéal, en côtes de Bordeaux on en trouve de très bons, notamment les graves rouges et argilo-calcaires qui sont propices à la prise de mousse. Notre production a chuté de 50 % en 2013, il n'y avait tout simplement plus de raisins sur les pieds, et comme on ne peut pas les inventer... En 2014, on a l'obligation de faire une récolte abondante et de qualité. La hausse des cours inquiète (+20 % pour les vins de base), il faut faire attention : la rareté d'un produit fait son prix, mais avec la mondialisation on sait que les distributeurs peuvent facilement se tourner vers les cavas et proseccos. Et après il est difficile de regagner les parts de marché... Si on ne reconstitue pas stocks, on ne pourra plus augmenter la capacité de production comme on l'a fait jusqu'à maintenant. Cela devient encore plus problématique quand on voit que les exploitations sont appauvries et très fragilisées.
Le vignoble bordelais semble tout juste découvrir le potentiel des rosés. Pensez-vous qu'il serait stratégiquement opportun d'accélérer également le développement des crémants ?Je crois que les crémants permettent une stratégie intéressante, ils ont fait leur preuve et ne demande qu'à se développer. On est partis de très bas, et le développement est à venir pour la filière : j'y crois ! Il y a aujourd'hui une attention particulière des producteurs portée aux crémants de Bordeaux. Mais je dois dire que le cahier des charges tel qu'il est contraignant et ne facilite pas l'accession à l'AOC. Que ce soit par les faibles rendements (50 hectolitres/hectare), le ramassage en cagette (alors que les vendanges de Bordeaux sont très mécanisées), ou le système déclaratif (norme qui impose une anticipation et fait perdre des possibilités de production).
Votre gamme est exclusivement composée de « bruts ». Comme en Champagne, la mode pour les crémants est-elle au zéro dosage ?Je pense que l'on va bientôt arriver au brut zéro dosage. Quand j'ai commencé à travailler, il n'y avait que des demi-doux très sucrés, puis on est rapidement passés aux demi-secs et maintenant il n'y a plus que des secs. Le brut nature séduit par le mot même : il y a un côté naturel qui attire le consommateur. Nous avons récemment lancé une cuvée bio millésimée. Il fallait dans notre gamme un vin bio, pour répondre à la demande naturelle et écologique (demande qui n'est pas généralisée).




